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 I n a u g u r a t i o n   d u   1 3   o c t o b r e   1 8 8 9

     
Discours inaugural prononcé par M. Gustave HAINSSELIN député de l'arrondissement
     

            « Il y a de cela dix-neuf ans, le 7 octobre 1870, GAMBETTA partait de Paris chargé par le Gouvernement d'organiser en province la défense du territoire; il était plein de confiance dans l'issue de la lutte qu'il allait soutenir; il espérait, dans son patriotisme invincible, rejeter l'ennemi hors de nos frontières et éviter ainsi la mutilation de la patrie.

            Le ballon qui l'emportait s'éleva dans les airs avec une vitesse vertigineuse et se dirigea d'abord vers le nord, mais bientôt il se rapprocha du sol et essuya à plusieurs reprises le feu de l'armée prussienne.

            On se figure aisément quelles durent être les angoisses de l'illustre voyageur, menacé de tomber au pouvoir de l'ennemi et de voir échouer, dès le début, la mission patriotique qui lui était confiée.

            Le vent s'étant apaisé, le ballon avançait avec une lenteur désespérante, et ce n'est qu'après avoir plané près de trois heurs sur le département de l'Oise que le frêle esquif, s'abaissant progressivement, franchit enfin la ligne d'occupation de l'ennemi et vint atterrir à quelques cents mètres de cette place, dans le bois de Favières.

             La nacelle s'était accrochée aux branches d'un chêne, appelé depuis le chêne Gambetta, et qui serait resté l'objet d'un pèlerinage si la hache d'un bûcheron l'avait respecté.

             C’est pour rappeler ce fait de la descente du grand patriote à Épineuse que, l’année dernière, un comité c’est formé, sur l’initiative de conseillers généraux du département, pour recueillir des souscriptions, étudier et faire exécuter un projet de monument commémoratif.

             Présidé par le vénéré doyen du Conseil général, M. LAGACHE, ancien sénateur, ce comité vit affluer de tous les points du département les offrandes des municipalités et des particuliers. La commune d’Épineuse lui prêta son concours en achetant de ses deniers la place où vient d’être érigé ce monument.

            Le comité le lui livre aujourd’hui comme un dépôt sacré et il en confie la garde au patriotisme de ses habitants, qui se feront un honneur d’en assurer la conservation.

            Cette pyramide modeste, aux lignes sévères, formée de matériaux impérissables, pourra défier les injures du temps et rappeler à de nombreuses générations un des épisodes les plus émouvants de la défense nationale. »

   

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Discours inaugural prononcé par M. Eugène SPULLER Ministre des Affaires Etrangères

     

     « Dans Paris l’émotion fut extrême le lendemain du 7 octobre : on ne savait pas ce que GAMBETTA allait faire, mais dès que l’on sut ce qu’il avait essayé, tout de suite, il fut compris. Mais en France, comment peindre l’étonnement, l’admiration dans nos villes, nos villages furent saisis, en apprenant qu’un jeune homme de trente-deux ans était tombé des nues pour prendre en mains le gouvernail jusque-là tenu par des mains débiles d’hommes dont l’âge trahissait le courage ? Ce fut comme un réveil universel. Il sembla d’une ère nouvelle allait s’ouvrir, qu’un ordre nouveau venait de naître. Le souffle des grands jours passait dans les âmes, et je n’oublierai jamais l’émotion de GAMBETTA, le matin du dimanche 9 octobre dans les rues du Mans, quand nous marchions côte à côte au milieu de sept à huit mille jeunes mobilisés qui venaient de quitter leurs foyers, encore mal équipés, mal instruits, mais tout rayonnants d’espérance et d’ardeur, et chantant « la Marseillaise », comme autrefois les volontaires de 1792. Il me serrait les mains avec une force convulsive, ne pouvant rien me dire de plus et tout pénétré de la grandeur de son action.

     Hélas ! Nous avons bien eu des mécomptes et la destinée a été dure pour la France ; mais ceux qui ont vu ces commencements de la tentative de réparation de la gloire française après tant de désastres, ceux-là n’oublieront pas ces patriotiques tressaillements de notre patrie, un instant galvanisée par l’âme ardente d’un plébéien, la veille encore inconnu, et qui, tout à coup, s’était trouvé digne de porter dans ses mains le cœur de la France.

      Ah ! La France, comme il savait l’appeler ! Vous vous en souvenez bien, vous tous qui couriez sous les arbres du bois de Favières pour venir au secours du ballon Armand-Barbès, prêt à tomber sans vous aux mains de l’ennemi. Vous couriez sans proférer aucune parole, vous aviez hâte d’arriver. Nous vous entendions approcher du chêne dans les branches duquel nous avions jeté notre ancre d’arrêt et de salut ; nous n’étions pas sans inquiétude à la pensée d’être pris, faits prisonniers au moments même où nous comptions échapper. –Qui va là ? cria GAMBETTA. Point de réponse. Mais, tout à coup, il repris de sa voix, la plus pénétrante de toutes celles qu’il m’a été donné d’entendre : Vive la France ! A ce cri libérateur, vous avez répondu par des cris joyeux : nous étions sauvés ! C’est à ce moment que vous avez entouré l’arbre, ce chêne hospitalier que vous appeliez le chêne de GAMBETTA.

      Cet arbre, ce chêne, où est il aujourd’hui ? Pourquoi faut il que nous ayons à dire qu’il a été arraché justement parce que c’était l’arbre, le chêne de GAMBETTA ? Oh ! les haines politiques, qui ne les maudirait aujourd’hui ? C’est la haine politique qui a fait arracher le chêne de Favières. Mais c’est la piété, la reconnaissance du patriotisme qui ont élevé ce monument dans la commune d’Épineuse. Les pierres durent plus longtemps que les plantes ; nous n’avons rien perdu au change ; et il a quelque chose qui dure plus encore que les plantes et les pierres, c’est la mémoire des hommes qui ont bien servi leur cause et leur pays.

      Honneur donc à vous, messieurs du Conseil général de l’Oise, qui avez pris l’initiative de la souscription à laquelle se sont associés les républicains de l’Oise ! Honneur à vous, citoyen de la commune d’Épineuse ! Merci au nom de la République et de la France ! A l’heure qu’il est, tous les Français qui portent un cœur patriote et qui gardent fidèlement le culte des souvenirs, tous ceux qui aiment leur pays, tous ceux qui ont foi en son génie, tous ceux qui espèrent en ses destinées, sont ici présents en pensée ; c’est une grande et noble fête de la patrie et c’est le moment de répéter, comme une prière, la parole de notre grand ami : « Tout pour la France, par la République ! » ».

     
   

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